THIERRY ROLAND. LA FIN DU MATCH PAR MICHEL DRUCKER
« Depuis cinquante ans, il était la voix du football français. Contre l’Ukraine, les Bleus lui ont offert sa dernière joie.
Entré à 18 ans à la RTF – un des plus jeunes reporters sportifs de l’histoire –, il a traversé les années, sourire aux lèvres, « L’Equipe » sous le bras. La passion de Thierry pour le sport en général, et le football en particulier, fut totale, exclusive, dévastatrice, obsessionnelle. Le foot a été sa vie. Le foot français, bien sûr. Mais aussi italien, anglais (il a passé une partie de sa jeunesse en Angleterre), espagnol, allemand, brésilien… Le globe était sa planète foot. Cette géographie footballistique si complexe, il la connaissait sur le bout des crampons. Son calendrier était rythmé par les Coupes du monde, les championnats d’Europe, la Ligue des champions et les Jeux olympiques. On ne dit pas assez le grand spécialiste de l’athlétisme qu’il a été. Méthodique, maniaque : ses fiches étaient toujours à jour. Comme les enfants, il ne ratait pas un seul album Panini et ne supportait pas qu’on lui emprunte, sans le lui rendre, un exemplaire de sa collection « Miroir Sprint ». Un pro exigeant. Derrière ses pirouettes rigolardes, Thierry était un timide, un pudique qui cachait une vraie sensibilité slave – sa maman était russe. Et son langage fleuri ne pouvait pas laisser supposer qu’il avait été élevé dans un collège anglais.
Thierry aimait la vie, sans réserve. Toutes les gourmandises, les cigares, le cognac, les bonnes bouffes, le bon bordeaux, les chevaux… Car il était joueur et son complice Omar Sharif doit être en peine aujourd’hui, car ils ne passeront plus de week-ends à Deauville, sur d’autres pelouses. Thierry aimait avant tout les copains et, premiers d’entre eux, Jacques Vendroux, Jean-Michel Larqué, Michel Platini et son chirurgien, Jean-Pierre Fraioli, avec lesquels il eut des rapports fraternels. Fraternel, c’est le terme qui le définit le mieux. Thierry est un des reporters les plus titrés de l’histoire. J’ai suivi à son côté cinq de ses treize Coupes du monde, et il m’a appris le sens de l’organisation et du détail. Car, dans les années 70, chaque détail comptait et pouvait coûter cher !
LA FRANCE DES USINES, CELLE DU CAFÉ DU COMMERCE QUI N’AVAIT PAS LES MOYENS DE SE PAYER UNE PLACE AU PARC, VIBRAIT EN L’ÉCOUTANT
La nouvelle génération, qui commente avec brio, ne peut imaginer les conditions dans lesquelles nous travaillions à l’époque. Pendant vingt ans, Thierry a fait partager ses matchs à la manière des pionniers que nous étions : artisans de la débrouille. Ces premières retransmissions des quatre coins du monde ne bénéficiaient pas de la technologie actuelle. Trois caméras au maximum quand il y en a onze aujourd’hui. Ralenti approximatif. Liaisons imparfaites avec la fameuse rue Cognacq-Jay : coupures fréquentes des faisceaux satellites. Autant de « blancs » qui faisaient passer aux reporters quelques nuits… blanches. Sans altérer sa force de vie. Je veux garder au chaud ses éclats de rire, ses accents de titi et son enthousiasme juvénile. Le rire de Thierry, inimitable, fit longtemps les beaux jours des « Grosses têtes » de RTL.
Un rire que l’on aurait pu entendre dans un café, à la fin d’une victoire des Bleus bien arrosée ou en chute d’une histoire rabelaisienne dont il avait le secret et qui enchantait Philippe Bouvard. Il était né comme ça. Et sa longue carrière, depuis qu’il avait connu l’équipe de France de 1958, emmenée par Just Fontaine et Raymond Kopa, ne l’avait pas changé. Le soldat Roland a fait la glorieuse campagne de Suède à 21 ans. Pelé, qui nous éblouissait, n’en avait que 16. Puis Thierry a côtoyé la génération magique, les Cruijff, Beckenbauer, Platini, Zidane et, aujourd’hui, Benzema. Des centaines de joueurs l’ont aimé. Nos internationaux, Alain Giresse le rappelait il y a quelques jours, considéraient qu’être commenté par Thierry était un honneur. Reporter supporteur, comme Roger Couderc fut le seizième homme du XV de France. Mais Thierry, « Monsieur Foot », fut une voix. La parole qui résonnera toujours dans la mémoire de millions de Français. En l’écoutant, la France profonde des usines et du Café du commerce vibrait à l’unisson. La France moins favorisée, qui n’avait pas toujours les moyens de se payer une place au Parc des Princes, au Stade de France, écoutait Thierry dans les cafés, devant la vitrine des marchands de postes de télévision et sur les places des villages, les soirs de Coupe du monde. Grâce à lui, ils étaient dans les tribunes. Il ne faut donc pas s’étonner de la vague d’émotion qui a submergé une bonne partie du pays lorsqu’on a appris sa disparition…«