Il a beau s’avouer hypocondriaque, Michel ne s’inquiète pas trop des glucides en ce jour de fête. Sous ses yeux ravis s’illumine son gâteau préféré, au doux nom de Sucré, signé Lenôtre. C’est en famille qu’il célèbre ses 70 printemps, chez Stéphanie, sa belle-fille, qu’il a élevé. Né à Vire, dans le Calvados, le 12 septembre 1942, Drucker apparaît sur le petit écran à 21 ans. Il y passera cinq décennies. Sur le canapé rouge de « Vivement dimanche » défilent toujours les stars. Jamais blasé, ce roi du Paf a plus d’un secret de longévité : la curiosité, l’humour et, surtout, l’amour, celui de Dany, sa femme, et de tout le clan. « Mais qu’est-ce qu’on faire de toi ? » s’inquiétait le père de Michel quand il était petit. Le fringant septuagénaire semble avoir trouvé toutes les réponses.
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Pour décrypter Michel Drucker, rien de tel qu’explorer le bureau du Studio Gabriel où il concocte « Vivement dimanche ». Sur les étagères, longs alignements de photos de famille. Deux stéthoscopes sur le bureau : l’homme est un hypocondriaque de la plus belle espèce. Mais, alors même qu’il vient de publier un énorme et très sérieux livre sur les 500 émissions cultes de la télé, il n’a jamais paru plus pétillant. A la veille de ses 70 ans, l’hyperactif aurait-il enfin lâché prise ?
Paris Match. Soixante-dix ans… Alors, heureux ? Michel Drucker.
Je n’arrive pas à intégrer ! Quand mes parents ont eu 70 ans, j’ai eu l’impression qu’ils étaient extrêmement vieux…
La médecine moderne a tout changé !
Pour moi, ça se passe ailleurs. Dans la tête.
Vous êtes sûr ?
Oui. Chaque fois que j’ai fêté un anniversaire qui se terminait par un zéro, mon compteur intérieur est resté bloqué pendant dix ans. Les anniversaires intermédiaires n’ont pas compté. Le seul choc de l’âge que j’ai vécu, c’est quand la télé est entrée dans l’ère de la consommation et a inventé le concept de la “ménagère de moins de 50 ans”. Or, je venais d’avoir 50 ans. Et je me sentais quinze ans plus jeune ! Ça m’a heurté, je me suis dit : “C’est du racisme appliqué à l’âge !”
Tel qu’on vous connaît, vous avez dû vivre un grand moment d’angoisse…
Curieusement, non. Simplement un début d’inquiétude. Et même d’inquiétude heureuse : c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire du sport. Au moment de la vie où les autres commencent généralement à ne plus en faire ! Comme dit Claude Lelouch : “Michel est un tardif qui a commencé tôt !” D’ailleurs, aujourd’hui, je me sens dans la peau d’un homme de 50 ou 60 ans, pas plus. De toute façon, mentalement, j’ai toujours eu un décalage de dix ans avec mon âge biologique.
Ce qui me frappe, c’est que non seulement vous êtes beaucoup plus gai qu’avant, mais infiniment plus détendu ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ce sont les contrôleurs du TGV qui m’ont rassuré ! J’ai ma carte senior depuis dix ans. De temps à autre, il y en a un qui doute de mon âge et me demande ma carte d’identité ! Le bien que ça me fait ! Il y a eu aussi, voici quelques mois, une réflexion de Giscard. Il me relatait un souvenir de télé qui remontait à 1964, au temps où il était tout jeune ministre de l’Economie. Il revenait sur une interview dans la salle des fêtes de l’Elysée avec une célèbre journaliste de l’époque, Danièle Breem. Je lui dis : “Je me souviens, j’y étais.” Il me regarde : “Comment ça ?” Je lui réponds : “Mais oui, je débutais, j’étais dans un coin avec les assistants, je m’étais caché derrière un double rideau pour ne rien perdre de la scène…” Il m’a dévisagé, estomaqué : “Ah bon, vous étiez déjà là ?”
Vous avez une mémoire phénoménale !
Oui, je me souviens de tout, des noms, des lieux, des atmosphères. Mais ce qui rend mon rapport au temps assez étrange, c’est qu’en cinquante ans de métier j’ai rencontré des stars à différents âges de leur vie. Sophia Loren du temps de sa trentaine puis à la soixantaine, De Niro quand il débutait et au moment de ses triomphes… Idem pour Cassius Clay, Sammy Davis et tant d’autres. Pour chacun, j’ai tout un puzzle de souvenirs. Et cependant, je ne regarde pas en arrière. Maintenant que j’ai enfin réussi à faire le deuil de mon frère Jean, décédé il y a neuf ans, quelque chose en moi s’est simplifié. Je continue à engranger les expériences et j’avance.
Vite, votre recette !
Essentiellement, c’est ma passion actuelle : mon émission sur Europe 1, “Faites entrer l’invité”. Un immense bonheur que je dois à Denis Olivennes. Il a saisi que je suis très déconneur de nature. En privé, j’ai toujours pratiqué l’ironie, la dérision et, bien sûr, l’autodérision. Mais, jusqu’à une période récente, je ne me donnais pas l’autorisation de me lâcher en public. Là, j’ai sauté le pas. Et j’en retire un fabuleux bien-être : l’ennui est un énorme facteur de vieillissement. Plus les neurones sont stimulés par la curiosité et la passion, mieux on se maintient. Avec cette émission et sa bande de déjantés, je me marre à fond. J’ai réveillé en moi le comique qui sommeillait et j’ai découvert ce bonheur absolu : faire rire les autres. Je me suis désinhibé. Du coup, ma septième décennie m’apparaît comme un virage vers un continent neuf. Au point que je pourrais bien terminer en faisant de la scène… Enfin, avec le temps, on acquiert le sens du mot juste. J’ai l’impression que mon langage parlé se rapproche de plus en plus du langage écrit et c’est un plaisir inouï.
Avec Rebecca et sa mère, Stéphanie Jarre, qui signe les décors de la pièce « Le journal d’Anne Frank » au théâtre Rive-Gauche et, à partir du 18 octobre, de « Salut les copains » aux Folies Bergères.
Justement, dans le langage courant, on n’ose plus dire “vieux” ni “âgé”, mais “senior”. Ça vous agace ?
Le terme a été mis à la mode par les publicitaires il y a quinze ans, quand ils se sont aperçus que les retraités avaient du pouvoir d’achat. Aussitôt, fin du tabou sur l’âge ! Mais, moi, je ne les avais pas attendus pour me sentir attiré par des gens plus âgés ! J’en connaissais déjà toute une brochette et ils débordent toujours d’une telle vitalité que je ne vois pas de différence avec moi. Tous sont encore sur la brèche et de quelle façon ! Chaque fois que je les rencontre, je suis épaté. Je ne ressens aucun décalage, on est de plain-pied, je me dis toujours : “Ils sont là, ils durent, c’est fabuleux !”
Quel est celui que vous admirez le plus ?
Belmondo. Il a eu 79 ans le 9 avril, il lutte formidablement contre son handicap, avec un courage, une force, une dignité extraordinaires. Un homme magnifique.
“JE CONNAIS MON CORPS PAR COEUR. CARDIOLOGUE,NEUROLOGUE, OSTÉOPATHE… AU MOINDRE BOBO, JE CONSULTE”
Tout de même, admettez-le, la médecine joue un grand rôle dans cette vitalité. Vous-même l’avouez, vous vous faites suivre de très près.
Je ne le cache pas, j’ai un rapport passionnel à la santé ! Je suis à l’écoute de mon corps en permanence, je le connais par coeur. Mon père était médecin. Gamin, je l’ai très souvent accompagné dans ses visites au fin fond de la campagne normande. C’était très impressionnant, d’autant qu’ensuite il m’expliquait pourquoi les gens, hommes ou femmes, se retrouvaient bousillés à 50 ou 60 ans. L’alcool, le tabac, les maternités à répétition, le travail qui exténue et, bien sûr, le dénuement matériel. Ça m’a terriblement marqué. Donc oui, je fais des analyses sanguines tous les trois mois. Ce qui me rend si inquiet que je me pends au téléphone dès le début de l’après-midi pour avoir les premiers résultats ! Comme pour les notes d’un examen !
Jeudi 13 septembre, rue Marbeuf, dans le VIIIe arrondissement, pour une de ses trois séances hebdomadaires de musculation avec le coach Hervé Lewis. Celui-ci entraîne également Johnny Hallyday, entre autres stars.
Et au quotidien ?
Deux heures de natation par semaine, 80 kilomètres à vélo dans le week-end et, tous les soirs, au lit à 21 h 30 car le sommeil avant minuit est le plus réparateur. Et, en parfait hypocondriaque, je passe constamment de la gaieté à l’inquiétude… Au moindre bobo ou coup de fatigue, je consulte. Je me fais examiner régulièrement par un cardiologue, un pneumologue, un neurologue, un oto-rhino, un diététicien et un ostéopathe…
Rien que ça ! Pas à la portée du Français moyen…
Je suis ultra-conscient de ma chance. Et je sais qu’on peut être flingué dès 50 ans par la précarité, certains boulots usants, les trajets si longs, souvent, pour se rendre sur le lieu de travail.
Malgré tout, vous ne pouvez pas tout contrôler, la maladie peut être inscrite dans votre patrimoine génétique. Et, un jour ou l’autre, chacun s’aperçoit qu’au-delà d’une certaine limite son ticket n’est plus valable, comme disait Romain Gary. Au fait, pourquoi consultez-vous un neurologue ? Peur d’Alzheimer ?
Si je dois avoir cette maladie, je veux être averti des signes avant-coureurs. Plus généralement, je veux me préparer au moment où mon corps va me lâcher. Et faire parallèlement en sorte qu’il tienne le plus longtemps possible.
Ça doit vous pourrir la vie !
Pas vraiment, car je m’administre aussi tous les jours cette vitamine essentielle à la prévention du vieillissement : le rire ! Je prends de moins en moins les gens au sérieux. Avec l’âge, j’ai fini par repérer les imposteurs. Ils ne le savent pas, mais je ris sous cape ! Résultat : je suis de plus en plus gai. C’est ça, plus que tout le reste, qui me donne la pêche ! Pour autant, à vélo, conscient de mon âge, je pédale à mon rythme. Pas de performance. Ça ne me coûte pas : en tout, dans la vie, ma nature est celle d’un marathonien, pas d’un sprinter.
J’ai l’impression que vous ne séparez pas la longévité physique de la longévité professionnelle. Même “dur désir de durer”, comme disait Paul Eluard…
C’est totalement lié, oui. Je l’ai saisi il y a quelques années, lors d’un épisode apparemment futile mais qui m’a beaucoup marqué. J’étais dans un avion. A côté de moi, deux bimbos de 18 ans feuilletaient un journal people. L’une pointe une photo et dit à l’autre : “Tiens, Dechavanne ! Toute notre jeunesse !” Sueur froide dans mon dos… Je me dis : “Moi, pour ces nanas, je suis sûrement la momie de Toutankhamon…” Et ça me turlupine tellement qu’au moment de quitter l’avion je les aborde : “Je vous ai entendues parler de Dechavanne. Moi, pour vous, je suis quoi ?” Aussitôt, une des filles éclate de rire : “Vous, c’est pas pareil, vous avez été vendu avec le poste ! On vous voit tous les week-ends à la maison depuis qu’on est nées !” Eh oui : quand vous êtes là depuis quarante ans, vous avez touché trois générations. Donc vous faites partie des meubles. Je le savais d’ailleurs de façon inconsciente puisqu’au moment de créer “Vivement dimanche”, sans la moindre préméditation, j’avais choisi d’interviewer mes invités sur un canapé. Le même canapé où se retrouvent les familles en fin de semaine…
Une vie privée harmonieuse, ça aide aussi à éviter le coup de bambou de l’âge, dit-on…
C’est évident ! Mais à condition que l’humour dure aussi longtemps que l’amour ! Je dis toujours : pour qu’un couple dure, il faut faire autant l’humour que l’amour…
Avec Dany, « mon roc, mon inépuisable capital confiance », dit-il et Jean-Michel Jarre. Les deux hommes sont très complices.
Votre plus bel anniversaire ?
Celui de mes 45 ans, au large de l’Australie, à bord de la “Calypso” du commandant Cousteau. J’étais là pour travailler, je n’avais rien dit à personne et j’étais en énorme décalage horaire. Je n’avais pas posé le pied sur le pont que Cousteau m’a invité à une petite balade dans son sous- marin de poche. On s’est retrouvés à deux dans le minuscule habitacle, couchés à plat ventre. On est bientôt arrivés à 50 mètres de fond. Et, là, stupeur : tous les marins m’attendaient au fond avec des projecteurs et en agitant une bouteille de champagne… Magique !
« Les 500 émissions mythiques de la télévision française », de Michel Drucker et Gilles Verlant, éd. Beaux Livres Flammarion.
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