« De A (« À armes égales ») à Z (« Zoom »), de 1950 aux années 2010, un livre signé de Michel Drucker et Gilles Verlant recense « Les Cinq Cents Émissions mythiques de la télévision française ». L’animateur de « Champs-Élysées » et de « Vivement dimanche », qui vient de fêter ses 70 ans, a vécu la quasi-totalité de cette histoire télévisuelle
« Sud Ouest Dimanche ». Combien d’années de télévision revendiquez-vous ?
Michel Drucker. Avec mes premiers souvenirs de téléspectateur – le couronnement de la reine d’Angleterre, que j’ai suivi chez moi, en Normandie, dans une vitrine de Vire -, cela fait pas loin de six décennies. Ensuite, je suis arrivé à la télé en 1964, pendant les Jeux olympiques de Tokyo. Mais j’y étais entré clandestinement, parce que j’effectuais alors mon service militaire à 200 mètres de Cognacq-Jay [NDLR : du nom de la rue où se trouvaient les premiers locaux de la télévision française]
Quelle idée a conduit l’écriture du livre que vous cosignez avec Gilles Verlant ?
Elle est de laisser un ouvrage qui fera référence. Il doit permettre de regarder la télé sans allumer le poste. C’est aussi un devoir de rappeler à trois générations ce qu’a été la télévision française des années 1950 jusqu’à maintenant. Nous avons d’ailleurs travaillé avec l’INA (Institut national de l’audiovisuel), sans doute le plus bel instrument de mémoire du monde.
Quel regard jetez-vous sur votre carrière ?
Je n’aime pas regarder dans le rétroviseur. Mais, quand je raconte ce que j’ai vécu, je passe presque pour un mythomane. Dans « Les Enfants de la télé », émission à laquelle j’ai été invité, Arthur a diffusé un montage où on me voit en plateau avec Sophia Loren – jeune -, avec des acteurs américains débutants qui avaient pour nom Sylvester Stallone, Robert De Niro, avec un réalisateur au début de sa carrière, Martin Scorsese, face à un boxeur, Cassius Clay… Ce sont des rencontres que j’avais oubliées, comme j’avais aussi oublié celles avec Sammy Davis junior, Liza Minnelli, Brigitte Bardot…
Avoir vécu tout cela est vertigineux. Sans coquetterie aucune, je me demande comment j’ai fait pour être encore là quand on sait la difficulté de durer dans ce métier.
Justement, avez-vous une explication ?
J’ai probablement une puissance de travail supérieure à la moyenne et j’avais une formidable revanche à prendre sur dix années cauchemardesques de l’enfance.
Comment expliquez-vous que vous soyez si peu nombreux à avoir survécu ?
C’est une question que nous nous sommes posée récemment avec Jean-Pierre Foucault. Notre chance fut d’arriver très jeunes dans une télévision qui balbutiait et qui est très bien décrite par Gilles Verlant dans le livre. Lorsque tout a implosé, avec l’arrivée du privé et la concurrence sauvage qui s’est ensuivie, nous étions déjà dans le cœur des gens. Nous disposions donc d’un capital affectif.
Comme m’ont dit récemment des adolescentes : « Vous avez été vendu avec le poste. » Mais il a fallu traverser la période du jeunisme et du racisme de l’âge, cette époque où l’on ne s’est plus adressé à des téléspectateurs, mais à des consommateurs.
Il n’y a donc plus de limite d’âge ?
Être un senior n’est plus tabou. Avoir 60 ans maintenant, ce n’est pas la même chose qu’il y a trois décennies. Des stars d’aujourd’hui ont dépassé les 80 ans : Charles Aznavour, Line Renaud, Jean d’Ormesson, Hugues Aufray, Annie Cordy… et Michel Galabru, qui a 90 ans. Les années à venir vont être celles des seniors, qui constituent un socle costaud de téléspectateurs.
Si vous deviez résumer la télévision en quelques mots, qu’en diriez-vous ?
Qu’elle est une ouverture sur le monde. Je dois à la télévision française – la meilleure du monde avec la BBC – d’être revenu au livre. C’est en voyant « Les Misérables » et « Les Rois maudits » que j’ai voulu lire Victor Hugo et Druon ; c’est en voyant « La Fuite à Varennes » que j’ai voulu lire l’histoire ; c’est en voyant Dostoïevski à la télévision que j’ai eu envie d’y retourner.
L’outil télévisuel pourra-t-il un jour accéder au rang d’art au même titre que le cinéma ?
Sans doute. Les Clooney, Michael Douglas, Roger Moore viennent de la télévision. Tout comme chez nous Les Inconnus, Alain Chabat, Muriel Robin, Jamel Debbouze, Florence Foresti, Franck Dubosc. Chez les chanteurs, elle a lancé les Julien Doré, Christophe Willem et Nolwenn Leroy, qui a vendu le plus de disques l’an dernier. Quant au Français qui a été couvert d’Oscars à Hollywood, c’est bien Jean Dujardin, celui qui a été révélé par « Un gars, une fille ». D’ailleurs, des mômes réalisent actuellement des films avec trois francs six sous. Sans qu’on le sache, il y a un Godard quelque part en train de tourner un nouvel « À bout de souffle ».
« Les Cinq Cents Émissions mythiques de la télévision française », éd. Flammarion (avec les éditions INA), 528 pages, 29,90 € à paraître mercredi 3 octobre. Un téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe, adaptation de l’autobiographie de Michel Drucker, « Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? », sera diffusé avant la fin de l’année. »