« Il y a bien sûr l’écume mais il y a aussi un fond irremplaçable dans le livre que Michel Drucker vient de publier chez Flammarion, « Les 500 émissions mythiques ». D’un côté la polémique, alimentée par quelques jugements de l’auteur sans concession, c’est vrai, sur des animateurs et des journalistes à l’ego surdimensionné, cela représente une petite cinquantaine de pages.

Et de l’autre, il y a des informations passionnantes dans ces 528 pages d’une vraie bible à la gloire du dieu « télévision » qui n’ont fait l’objet d’aucun réel écho dans les médias parce que sans doute jugées trop sérieuses, trop bien documentées, bref, imaginées (à tort) trop chiantes.

Pourtant, ces 528 pages représentent le premier dictionnaire télévisuel digne de ce nom, à la fois exhaustif, chronologique et thématique, puisqu’il recense les émissions qui, dans les domaines de l’information, des variétés, de la télé-réalité, des sciences, de la culture et du sport, ont marqué l’histoire du petit écran depuis 50 ans.

Alors, certes, il peut naître quelque nostalgie chez les plus anciens à voir ainsi évoquer des noms prestigieux tels que ceux de Jean Nohain, Jacqueline Joubert et Georges de Caunes, des quatre Pierre, Sabbagh, Desgraupes, Dumayet ou Tchernia, ou encore ceux de Pollux, de Nicolas et Pimprenelle et de Casimir.

Mais il n’est pas interdit non plus aux plus jeunes de s’intéresser à ceux qui ont construit cette télévision qu’aujourd’hui, un Français regarde en moyenne près de 4 heures par jour !

 Ardisson, Cauet, Rousseau, Thomas dans son collimateur

J’avoue que je ne suis pas satisfait de ce que j’ai pu lire ici ou là dans la presse et sur internet. On ne rend pas justice à Michel Drucker quand on résume cette somme d’informations et ces souvenirs personnels du roi incontesté des animateurs, à une rafale de mitraillette aussi sèche qu’un règlement de comptes.

Alors, c’est vrai, la tentation est grande, à l’heure de « l’information champagne », d’insister sur la surprise que nous offre « le plus gentil des présentateurs », celui qui est resté longtemps le « gendre idéal » pour bon nombre de téléspectatrices aujourd’hui grand-mères.

Or, voilà qu’il taille par exemple Thierry Ardisson (« Double jeu », « Tout le monde en parle ») en disant qu’ »il ose tout, sauf le direct. Il tourne cinq heures d’émission pour n’en garder que le tiers ou la moitié. Il est dans le contrôle : rien ne sera dit dans son émission qu’il n’ait personnellement approuvé. »

À quoi l’intéressé lui a répondu depuis sur iTélé : « Drucker a oublié qu’on a fait un grand direct ensemble [« Le Plus Grand Français de tous les temps en 2005″]. Il a perdu la mémoire apparemment. Ensuite, il fait pareil : il tourne le mercredi et diffuse le dimanche. »

Dans son livre, il se paie aussi Sébastien Cauet (« La Méthode Cauet »). « J’ai connu un charcutier très jovial qui lui ressemblait : chaque fois que j’entr’apercevais Cauet à la télé, […] je ne pouvais m’empêcher de penser à cet aimable commerçant. Et entre deux blagues cochonnes de Cauet, dans une semi-torpeur, je l’imaginais qui me disait : Je vous ai mis un peu trop de boudin, je vous le laisse ? »

Lui non plus n’a pas laissé passer, et lui a répondu sur son compte Twitter : « Paraît que Michel Drucker m’égratigne dans son livre : Micheeel… T’as été gentil 70 ans, craque pas maintenant !! Tiens bon ! lov #cauet ». Ou encore : « Oui, si Michel continue comme ça, il va finir par remplacer Raymond dans ‘Scènes de ménages' »

Michel Drucker s’offre aussi Valérie Damidot (« D & Co ») « qui est à la décoration ce qu’Andréa Ferréol est à la Grande Bouffe de Marco Ferreri » ; ou encore Carole Rousseau (« C’est quoi l’amour ? », « Scrupules ») qui n’est pas « la descendante de Jean-Jacques, l’écrivain philosophe du XVIIIe siècle » ; ou enfin Evelyne Thomas (« C’est mon choix », « Ça va se savoir ! ») : « c’est le top du top du trash. […] Si l’on veut toucher du doigt le fond du fond de la misère intellectuelle et de la bassesse humaine, il suffit de regarder cinq minutes ‘Ça va se savoir !' »

Calvi, Naguy, Debbouze, Ruquier,Jamy ses préférés

On le voit, Michel Drucker sait parfois avoir la dent dure, mais il fait aussi des compliments, on s’en est aperçu en cinquante ans de télévision : la gentillesse est bien sa marque de fabrique… Donc, à côté des vacheries, il laisse aller sa nature qui le porte vers l’admiration de ses confrères, même si les médias n’ont pas jugé bon d’en dire un mot.

Ainsi, quand il parle de Frédéric Taddéi (« Ce soir ou jamais »), il dit de lui qu’il est « aussi important que Bernard Pivot dans l’histoire de la télévision, sauf qu’il a fait mieux encore du temps où son rendez-vous était quotidien ; ‘Apostrophes’ et ‘Bouillon de culture’ étaient hebdomadaires… Vive le service public ! ».

À propos d’Yves Calvi (« C dans l’air »), il écrit qu’ »il est un grand homme de radio devenu un grand homme de télé. J’apprécie sa franchise, sa spontanéité, sa grande crédibilité en même temps que son côté profane qui, à l’inverse de tant de journalistes initiés par tant d’années de pratique de la langue de bois, demande sans honte : ‘Expliquez-moi, je n’ai pas compris’. »

Il dit aussi le bien qu’il pense de Nagui (« Tout le monde veut prendre sa place », « N’oubliez pas les paroles », ou encore de Jean-Pierre Foucault (« Qui veut gagner des millions ? »), de Jamel Debbouze(« Jamel comedy club »), de Mireille Dumas (« Vie privée, vie publique »).

Et je pourrais continuer longtemps en évoquant son enthousiasme pour Laurent Ruquier (« On n’est pas couché », « On n’demande qu’à en rire »), Jamy (« C’est pas sorcier »), Bernard Pivot bien sûr (« Apostrophes », « Bouillon de culture ») ou encore le médecin-animateur Michel Cymes (« Le magazine de la santé »).

Une ambition qui dépasse largement l’anecdote

Voilà. Le reste, tout le reste est un formidable dictionnaire qu’il convient d’aborder en lisant le mode d’emploi. On s’aperçoit alors, en ouvrant ce livre imposant au hasard, qu’il ne s’agit pas du énième bouquin de souvenirs coécrit par une star que l’on va feuilleter distraitement avant de le reléguer dans un tiroir.

Michel Drucker ne voulait pas se contenter d’aligner des anecdotes plus ou moins sympathiques et il a eu raison. Son livre mérite une bonne place dans la bibliothèque, à côté des dictionnaires plus classiques.

L’ouvrage est cependant agréable à lire, notamment grâce aux centaines de photos qui en illustrent les différents chapitres. Il est découpé en cinq décennies qui vont de 1950 à 2000.

Les 500 émissions font l’objet d’une fiche très documentée (date de la première et éventuellement de la dernière, jour, heure et chaîne de diffusion, durée, réalisateurs). Elles sont toujours complétées d’une appréciation mais aussi parfois d’un souvenir personnel de Michel Drucker.

Toutes sont classées par rubriques qui, bien sûr, évoluent selon les époques. On trouve ainsi dans la période la plus récente l’arrivée des talk-shows et de la télé-réalité tandis que les sports, les variétés et « pour les enfants » se retrouvent durant tout le demi-siècle.

Chaque rubrique suit enfin un ordre chronologique, celui de la date d’apparition des émissions à l’antenne, et chaque période est marquée sur la tranche de l’ouvrage d’une couleur différente, tandis que les dernières pages sont consacrées à un index des 500 émissions citées. On le voit, l’objectif est beaucoup plus ambitieux qu’il en a l’air, à la lecture des comptes-rendus qui en ont été faits dans les médias.

Il s’agissait pour Michel Drucker et pour Gilles Verlant, qui s’est chargé de réunir la documentation, d’offrir à tous ceux qui se passionnent pour la télévision et pour son histoire un outil aussi facilement consultable que n’importe quel dictionnaire. À mon avis, le pari est réussi. »

Thierry de Cabarrus

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