Stéphane de Bourgies

La mémoire de la télévision consacre son troisième livre aux vedettes oubliées. Un ouvrage plein d’anecdotes et de tendresse, mais distillant aussi critiques et révélations inattendues.

Aussi prévenant que ce gendre idéal en a la réputation, Michel Drucker nous reçoit tout un après-midi dans son bureau-loge du studio Gabriel. Dans cet antre truffé de photos, de bouquins, de citations, de DVD (et même de deux stéthoscopes !), en gardant un œil sur le montage du Vivement dimanche qu’il consacrera cet après-midi (à partir de 14 h 10 sur France 2) à Frédéric François. Un crooner démodé pour beaucoup. Pas pour cet inoxydable animateur de 71 ans qui hait « le sectarismeJe tenais beaucoup à cette émission. Comme à celles que je prépare avec Danièle Gilbert et Michèle Torr… » Des vedettes autrefois dans la lumière, aujourd’hui oubliées. Une injustice qu’il a tant vu se répéter en cinquante ans de carrière, que ce presque historien de la télé y consacre son troisième livre (1). Un ouvrage fourmillant d’anecdotes, souvent tendres, parfois dures, coécrit, sur trois années, avec Jean-François Kervéan.

Pourquoi De la lumière à l’oubli ?

Je suis fasciné, troublé, étonné, attristé, ulcéré par l’oubli. On oublie tout. L’ingratitude est terrible. Je ne veux pas qu’on oublie Martin, Sevran, Guy Lux, Danièle Gilbert… Issu d’une famille qui, fuyant les pogroms, a été accueillie par la France, j’ai été élevé dans le devoir de mémoire. Je voulais raconter la face B, quand toutes les lumières s’éteignent…

S’il en est un qui symbolise cette cruelle déchéance, c’est votre mentor, Léon Zitrone…

Je commence le livre par lui parce que c’était un monstre sacré. J’étais son assistant mais aussi son voisin, place de Clichy. Viré en 68 par de Gaulle, du jour au lendemain, il n’était plus rien.

Hypocondriaque, vous pensez même que de désespoir, certains en tombent malades…

L’AVC de Jacques Martin est arrivé comme par hasard quand on lui a annoncé l’arrêt de Dimanche Martin. C’est quand Pascal Sevran a été mis sur la touche qu’il est tombé malade. Mon frère Jean, qui se sentait évincé de M6, est mort d’une crise d’asthme. C’est un métier violent…

Et vous dans tout ça ?

Je suis un survivant ! En cinquante ans, je n’ai connu qu’une traversée du désert d’une petite année. J’étais donc un des rares à avoir la légitimité d’écrire ce livre. C’est sans doute aussi une façon d’exorciser ma propre peur de l’oubli. Et parce qu’on ne sort pas indemne d’une carrière où on en a vu beaucoup d’autres finir la leur si injustement…

Dans ce livre, vous poussez la sincérité jusqu’à évoquer vos opinions politiques…

J’écris que je me réveillerai toujours à gauche discrètement. J’ai toujours eu l’impression que ce sont plutôt les défavorisés qui ont le sens du partage. Dans mes moments de réflexion politique, je rejoins mes parents et la France de Jaurès, de Mendès France… Ça ne m’empêche pas d’être très proche des Chirac et de Sarko qui m’a séduit. Il m’est d’ailleurs arrivé de voter à droite, Chirac en 2002.

Et en 2012 ?

Hollande.

Pourtant vous ne cessez de fustiger les élites de gauche…

La gauche, c’est son boulot de donner des leçons de morale. À une condition : être irréprochable. Quand la gauche caviar est prise les doigts dans la confiture, ça fait beaucoup de mal, pas seulement à la gauche mais à la politique. Je comprends l’exaspération de certains Français. Mais ce qui m’inquiète, c’est qu’elle va vers les extrêmes qui n’apportent aucune solution. J’espère qu’en majorité, ce sont des votes de contestation et pas uniquement d’adhésion à une idéologie du repli sur soi car on en revient au devoir de mémoire. Je ne voudrais pas que l’histoire se renouvelle.

Dans ce livre, vous n’êtes pas aussi gentil qu’on le dit à l’égard de certaines célébrités…

J’en veux à ces gens qui ne correspondent pas à leur image. Le commandant Cousteau n’était pas une belle âme. Yves Montand méprisait les petites gens, même si ma mère en était fan. Gilbert Bécaud était aussi antipathique, mais je ne souhaite à personne de finir comme lui avec un cancer de la mâchoire. Ils ne sont pas les seuls, mais ce ne sont pas les plus nombreux. Il y en a que je ne reçois pas avec grand plaisir mais je suis suffisamment professionnel pour que ça ne se voie pas !

Et Dick Rivers ?

C’est un jeu entre nous ! Il a toujours estimé qu’il méritait tout un dimanche parce que sa carrière est la même que celle de Johnny ou d’Eddy Mitchell. Il a des exigences qui ne correspondent pas à son statut. Mais je ne désespère pas qu’il vienne un jour nous voir.

Et Mireille Mathieu ?

On n’arrive pas à faire une émission avec elle parce qu’elle a des exigences, elle, en termes de moyens. Or, Mireille est très célèbre à l’étranger mais plutôt absente en France. L’économie a changé, on ne peut plus donner aux artistes les moyens d’autrefois.

En revanche, vous ne cessez de saluer Laurent Ruquier…

C’est le mec qui me bluffe le plus. Il a tant de cordes à son arc, qu’il est vraiment au-dessus des autres. Et en plus il a des qualités humaines rares dans ce métier : généreux, pas méchant, bon camarade, très attentif à ses collaborateurs et il a de la mémoire ! On se connaît assez peu, mais on commence à devenir amis.

Vous rendez aussi un bel hommage à la tournée Âge tendre et tête de bois

Parce qu’elle remet dans la lumière des stars qui sont tombées de la scène. J’étais ravi d’y participer. Mais si je devais présenter un jour une tournée, j’aimerais qu’elle soit consacrée aux années Champs-Élysées.

Mais avant, vous vous donnez encore dix ans de télé…

Parce que mon père a tenu sa mallette de médecin jusqu’à 80 ans. Soixante ans de carrière, ce ne sera pas si mal…

Pourquoi avez-vous confié cet été à Nice-Matin qu’Europe 1 prenait « un risque » en vous remplaçant par Cyril Hanouna ?

Mon émission n’avait pas assez de succès. D’un commun accord, on a décidé de l’arrêter. Mais une fois qu’on a pris cette décision, je l’ai vécue tristement. Cyril a eu raison de relever ce défi. Mais le risque pour lui, c’est de confondre son public sur D8 à 19 heures et celui d’Europe le matin qui n’est pas le même. J’en sais quelque chose, on a fait une émission un peu jeune. Or les gens qui écoutent la radio à 11 heures sont de ma génération. Mais on n’avance pas dans ce métier si on ne prend pas de risque.

Qui sont les talents les plus prometteurs à la télé ?

Le plus malin qui risque de s’installer sur la durée comme entrepreneur et animateur, c’est justement Cyril Hanouna. Dans l’info, la star du moment, c’est Laurent Delahousse. Chez les femmes, Marie [sa nièce, ndlr] est indiscutablement une des meilleures. Et derrière, il y a Wendy Bouchard avec qui j’ai travaillé à Europe et qui présente Zone interdite. Elle, il faut la suivre !

1. De la lumière à l’oubli, éditions Robert-Laffont, 376 p., 21,50 euros.

Je me réveillerai toujours à gauche « 

Cousteau n’était pas une belle âme « 

PROCHAINE ÉMISSION

Vivement Dimanche Best Of La famille 29/06/2025

29 juin 202513:30

Les invité.es

PROCHAINE ÉMISSION

Vivement Dimanche Prochain BEST OF HUMORISTES

31 juillet 202216:10

Les invité.es