Michel Drucker a fait ses premières armes de journaliste à l’ORTF, établissement public réunissant télévision et radiodiffusion françaises, créé le 28 juin 1964 et dissous dix ans plus tard. Ce samedi 28 juin, nous fêtons donc les 50 ans de sa création.
J’aimerais vous raconter un souvenir. Le meilleur et le pire à la fois. Tout a commencé quand je suis rentré à l’ORTF l’année même de sa création, en 1964. Quel choc pour moi. Quelles années incroyables j’allais vivre. En franchissant le seuil de cet établissement public, je découvrais un monde que je ne connaissais pas, moi qui montais de province, me voici d’un coup habitant dans une rue mythique, la rue Cognacq Jay, au pied de l’immeuble de l’ORTF, donnant sur l’avenue Bosquet, dans le 7e arrondissement de Paris, à deux pas de la Tour Eiffel. Imaginez donc… A 22 ans, côtoyer les pionniers de la télévision, c’était inespéré, je n’en revenais pas.
Puis, 1965 fut l’année de ma première apparition télévisuelle. Terrible et fascinante à la fois. Je l’ai racontée d’ailleurs dans mon livre, Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ?, puis dans le film tiré de ce livre. J’ai un souvenir inouï de cette archive. Je n’étais absolument pas préparé. On me voit aux côtés de Roger Couderc et Léon Zitrone, le teint pâle, les nerfs à vif. C’est la première fois qu’une personne aussi jeune se présente à l’antenne, dans une des plus grosses émissions de la chaîne, à 20h20, juste avant le film du dimanche soir. Ils me cadrent au niveau de la ceinture, et je reste dix minutes à l’antenne. Dix minutes… C’est considérable, et ca n’existe plus de nos jours. Des gens m’en parlent encore. Un souvenir fascinant, oui… D’autant que je devais donner des résultats sportifs très précis, je n’avais pas droit à l’erreur, me tromper d’une virgule m’eut peut-être été fatal. Comme la chaîne n’avait pas beaucoup de moyens pour couvrir tous les sports, seuls les résultats du rugby et du tiercé étaient agrémentés d’images. Je devais donc donner tous les autres résultats sportifs secs, sans image.
Quand j’ai eu fini, le standard a, paraît-il, explosé de coups de fil de spectateurs très sympathiques. Certains disaient: « dites au gamin qu’on vient de voir à l’antenne, qu’on est de tout cœur avec lui, il faut qu’il tienne bon ». Ils avaient lu ma terreur, malgré mes efforts pour ne rien laisser paraître.
Ce souvenir est aussi fort que violent. L’impact de la télévision à l’époque était démentiel. J’étais effrayé, la peur et l’angoisse me tenant au corps, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. J’ai mis un temps fou à trouver mon rythme.
Souvent, les jeunes journalistes m’interrogent sur cette période mais je ne me lasse pas de la raconter. Ma mémoire est intacte. Pour eux, à l’heure du Web, ils doivent se figurer l’ORTF comme le Moyen-Age. Mais j’aime voir ce fossé technologique incroyable. Je n’utilise ni prompteur, ni oreillette, encore moins Internet ou Wikipédia. Je n’ai jamais réussi à m’habituer à tout cela. J’ai appris à regarder la caméra droit devant, à me souvenir de l’enchaînement des séquences et j’ai toujours un vieux téléphone à côté de moi qui permet à Françoise Coquet, ma productrice depuis 30 ans, de m’appeler pendant les pauses pour me renseigner sur le retard pris ou non sur la conduite de l’émission.
Evoquer l’ORTF aujourd’hui, cela relève presque du devoir de mémoire, nous ne sommes plus bien nombreux à y avoir travaillé. Cet établissement est cher à mon coeur, car j’y ai commencé en tant que journaliste sportif. J’ai ensuite commenté 5 Coupes du monde de 1970 à 1986. En ce qui concerne celle-ci, si j’étais joueur, je dirais que l’Allemagne ira loin, pareil pour la Hollande, et pour la France, si on bat le Ghana et qu’on joue aussi bien que sur les deux premiers matches, on atteindra la demi-finale. Et vous, vous y croyez?