Ce soir-là, l’homme aux 5 Coupes du Monde comme commentateur, arbore une esthétique de commandant de bord
Dieu a obtenu avec beaucoup de difficultés le jour du Seigneur, le Dimanche. Michel Drucker aussi ! Alors arrêtez de nous emmerder avec le monothéisme ! Ce soir-là, l’homme aux 5 Coupes du Monde comme commentateur, arbore une esthétique de commandant de bord : chemisette bleu ciel, pantalon taille de guêpe, œil précis pour ce natif du 12 septembre 1942 à Vire dans le Calvados. Il s’assoit face à votre serviteur après un dîner qui a du être extrêmement léger puisqu’il s’est terminé à 20.45 ! « Mimiche, votre mimiche » n’a jamais été le roi des noctambules. Et puis France-Equateur l’attend chez lui, rue de l’Université, de l’autre côté de la Seine. Appartement « hommage » à la rue Cognacq-Jay qu’il intégra en 1964 pour pousser la porte de Zitrone. Appartement « hypocondriaque » car Dieu n°2 a beau être un ascète et éviter les cacahuètes comme la peste, notre ami a dans son portable, la plus belle liste de médecins toutes spécialités confondues, joignables à toute heure et dans tous les continents : « T’as mal quelque part ? Je reviens du Québec, j’ai passé mon temps au téléphone avec mon pneumologue en France et là, je viens de trouver un médecin pour Aznavour. »
Dans l’euphorie de nos retrouvailles, il me propose même une liste exhaustive de gynécologues (bizarre dans mon cas), cardiologues, neurologues avant de revenir au commentaire de l’une de ses bibles : le Foot. « Nasri et Ribéry ne nous manquent pas. L’équipe de France est hyper jeune. Benzema va peser sur toutes les défenses. Il est bon, il marque, il fait marquer. Zidane au Real est derrière sa récente transformation. Et puis tu sais, Deschamps est la star réelle du groupe. Il n’y a pas un footballeur au monde qui ait un palmarès plus beau que le sien. Il a tout gagné et beaucoup plus que des stars qui ont marqué le ballon rond. » Dieu n°2 enchaîne : « De toute façon, l’Allemagne, la Hollande ou la France, l’une des trois sera au bout. Pour le Brésil, ça va être très dur car ils ont une pression énorme avec le climat social. Et puis… tu as vu… les Italiens, les Anglais, les Espagnols sont arrivés totalement carbonisés après leurs championnats. »
Michel est un Classique qui n’aurait pas fait d’études. Il doit pouvoir être aussi méchant que Saint Simon mais sa lucidité sur les hommes se cache derrière le paravent de l’éternelle bienveillance qui lui est souvent reprochée. Le voir si près, l’observer de l’autre coté de la table fait immédiatement penser à un mix de Jean-Paul Belmondo et Jean-Luc Lagardère : l’optimisme souriant à la française des années 70/80. Michel a la chance d’avoir évité la tragédie de l’homme mûr. Lui qui fût viré en 68, manifesta avec Cohn-Bendit, fût pistonné par Pompidou et Michèle Arnaud (sa productrice de l’époque) pour revenir à la télé et s’y installer définitivement. Encore aujourd’hui, au début de l’été. Le garçon peut être poétique quand il évoque le Festival de Cannes avant Canal : « Je faisais des émissions avec Mastroianni, Scola, Claudia, Sophia Loren, Alberto Sordi, Antonioni… » Une nostalgie qu’exprimait récemment sur grand écran la Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, oscar du meilleur film étranger à Hollywood : « Mais tu sais, Canal a révolutionné le foot, les consultants, la manière de filmer. Sur TF1, Lizarazu est vraiment bon. »
Drucker est un jeune septuagénaire actif qui garde le passé perpétuellement en mémoire : « en 1982, après la demi-finale tragique perdue contre l’Allemagne, j’étais dans le bus avec Hidalgo, les joueurs, Lino Ventura, Julien Clerc. Un silence de mort. Tous hébétés, KO debout. Je crois qu’ils ont mis des mois ou des années à récupérer. » On perçoit un amour tendre pour la bande à Platoche : « Le meilleur milieu de terrain du monde pendant 10 ans avec Tigana, Giresse, Fernandez, Bossis, Trésor et les autres. Michel, c’est dur car il est la seule super star du football avec Johan Cruijff à n’avoir jamais gagné la Coupe du Monde. »
Tout d’un coup, le fils d’Abraham Drucker perçoit chez moi un léger agacement et me balance cette question saugrenue : « Tu as mis de la crème hydratante ce matin sur les pieds ? » Je n’osais pas le dire mais sa chienne Ysia (grande amatrice de Neutrogena) pratiquait sous la table, depuis un certain temps, une sorte de lavage-graissage de mes chevilles particulièrement exaspérant, même pour un type à la sexualité ouverte. Pour aller jusqu’au terme de l’interview, j’ai évité de donner un violent coup de pompes à la charmante petite bête ! D’autant plus que notre grand homme me confie le numéro de fax de son épouse, Dany Saval, grande avocate de la cause animale : « Au début des années 80, j’ai commenté un match au Maracana à Rio de Janeiro et j’avais lutté pour obtenir un pass et emmener Dany. A la fin de la rencontre, comme je suis perfectionniste, je lui ai demandé ce qu’elle avait pensé de mon travail et elle m’a lâché cette seule et unique phrase : « c’est effrayant ce que leurs shorts sont mal coupés ! ».
France-Equateur se rapproche. MD me confie : « Sarko n’ira à la guerre que s’il a un sondage en poche qui lui donne toutes les chances de gagner. Mais ils sont incroyables ces politiques. Il ne faut pas avoir le goût du bonheur pour faire ce boulot. Tous les jours, je pense aux fils de Sarkozy, de Hollande, de Cahuzac, aux enfants de Chirac, à Mazarine. Quand tu vois ce qu’ils prennent dans les journaux comme dommages collatéraux tous les jours, je me demande comment ils font. »
Michel serais-tu fragile après l’absorption d’un potage pékinois ? « Tu sais en ce moment, je passe les qualifications de pilote d’avion en 6 mois. J’adore le silence la nuit au dessus des nuages. J’ai besoin de faire tourner la machine tout le temps : 3 500 km par an à vélo, je nage 2 fois par semaine, j’ai la même femme depuis 42 ans et je suis aussi Provencal que Parisien (maison à Eygalières).A 72 ans, je dois nourrir mon stress. Mon père était comme ça. »
A-t-il un meilleur ami cet hyper actif qui a croisé le monde entier dans ses émissions ? Il évoque quelques noms : Aznavour, son voisin dans le midi, Philippe Alain (l’un des frères de Dany avec qui il vient de dîner), Françoise Coquet avec qui il travaille et puis, un dénommé Lulu qui sort de nulle part et qui fût photographe à la grande époque de France Soir.
Drucker que vous aimez comme un paysage familier, c’est ça : un petit frère de Lazareff, Desgraupes, Marcel Jullian, Daniel Filipacchi. Les apôtres du grand public. Des anti-ricaneurs.
Je me souviendrai toujours du 18 avril 2003, son frère, son double Jean, venait de mourir d’une crise d’asthme dans cette Provence qu’ils aiment tant. A Orly à l’aube, j’avais croisé Michel Drucker en larmes. Sur un point essentiel, Françoise Sagan et Jean-Paul Sartre, amis ô combien différents, n’ont jamais transigé : la qualité suprême reste la gentillesse. Même assise sur un canapé rouge le jour du Seigneur.
Restaurant Tong Yen, rue Jean Mermoz à Paris à côté du Rond Point des Champs Elysées.