Pour ses cinquante ans de carrière, la star du petit écran publie Une année pas comme les autres (éditions Robert Laffont). Des confi­dences pleines d’émo­tion, de rires et de larmes. Extraits exclu­sifs. 

UN RÉVEILLON VRAIMENT PAS COMME LES AUTRES

« Pour la fin de l’an­née 2014, avec ma fille Stéfa­nie nous cares­sions l’en­vie d’al­ler passer quelques jours à la montagne. Fina­le­ment, mon penchant natu­rel et mon péché mignon l’ont emporté. Les fêtes sont une période qui incite à se faire plai­sir : je vais profi­ter de la trêve des confi­seurs pour me faire hospi­ta­li­ser. Aussi­tôt dit, aussi­tôt fait : rendez-vous a été pris à l’hô­pi­tal Georges-Pompi­dou, dans le service du profes­seur en cardio­lo­gie Michel Desnos, qui écoute mon cœur depuis près de vingt ans.

J’ar­rive trois jours avant la Saint-Sylvestre. Deux infir­mières au physique géné­reux m’ac­cueillent dans une chambre claire où je me sens tout de suite à la maison. A une époque, je m’ins­cri­vais sous le nom de ma mère, Lola Scha­fler. Cette masca­rade a malheu­reu­se­ment suscité des confu­sions, les examens au nom de Lola partaient chez mes méde­cins trai­tants qui répon­daient à mes appels de plus en plus pres­sés : « Nous n’avons toujours pas vos analyses »… Quinze jours plus tard, j’étais paniqué, persuadé d’avoir un méla­nome incu­rable, d’au­tant que je sentais leur inquié­tude succé­der à l’in­com­pré­hen­sion. Mes analyses étaient pour­tant bien chez eux, mais au nom de Scha­fler, qui ne leur disait rien. Au diable l’in­co­gnito ! Depuis, je m’ins­cris sous mon nom – CQFD. Une coro­no­gra­phie néces­si­tant deux jours d’hos­pi­ta­li­sa­tion, j’en prends donc deux et demi, au troi­sième étage du service de cardio­lo­gie où la vue donne sur le paque­bot de France Télé­vi­sions et le bureau de son président Rémy Pflim­lin, qui compte bien renou­ve­ler son mandat et ne le renou­vel­lera pas – la vie est ainsi faite, à la tête des hautes instances de l’Etat. Je ne suis pas dépaysé. La télé­vi­sion ne s’éloigne pas de moi. Je suis là, rassuré, c’est-à-dire heureux. Entre la Noël et la Saint-Sylvestre, on ne se bous­cule pas au portillon. Les malades ne croulent pas sous les visites de leurs proches affai­rés. Un désert asep­tisé, avec deux-trois guir­landes cligno­tantes auxquelles je trouve du charme. Je demande à l’in­fir­mière si un menu de fête est prévu.

— Non.

Sa réponse fait ma joie. J’adore la nour­ri­ture de l’hô­pi­tal (…) Pour mon premier repas du soir, l’in­fir­mière à la silhouette mater­nelle m’ho­nore d’un bouillon de légumes déli­cieux. Les blouses blanches ont toujours eu le don de me relaxer, si je pouvais j’en porte­rais une. J’ai l’im­pres­sion de retom­ber en enfance, au calme, surpro­tégé, décon­necté. J’en viens à rêvas­ser vague­ment que, pour dessert, l’in­fir­mière me donne le sein (…) Au réveil, ciel bleu cobalt, murs blancs imma­cu­lés. Et batte­rie d’exa­mens que je connais… par cœur. Les méde­cins passent, déten­dus, égayés par la fin d’an­née. Les écrans lumi­neux renvoient leur sentence : bilan nickel. « Bonne nouvelle, Michel ! Vos coro­naires sont des auto­routes. Un cœur de quarante ans. Mais, si vous permet­tez, nous le savions déjà, vu la proxi­mité de vos dernières analyses »… Nicher trois jours dans un hôpi­tal où les auto­ri­tés médi­cales vous confirment que vous ne souf­frez de rien, abso­lu­ment rien, pendant que des collègues sont aux Maldives ou à Cour­che­vel, sur les pentes, au vert, n’im­porte où, pour un hypo­con­driaque hospi­ta­lisé à cinq minutes de son domi­cile, c’est le meilleur week-end de l’an­née. A peine sorti, je réserve illico pour l’an­née prochaine, même période, en pension complète. »

UNE NAISSANCE QUI LE BOULEVERSE 

« Je n’ai pas vécu l’ex­pé­rience de la pater­nité, ces neuf mois où un couple attend de deve­nir parents demeure pour moi une grande énigme : la fille de Dany, Stéfa­nie, avait cinq ans lorsqu’elle est entrée dans ma vie pour deve­nir notre enfant. Sans doute n’au­rais-je pas tenu le coup, fou d’an­goisse, à récla­mer matin, midi et soir une écho­gra­phie et le soutien psycho­lo­gique d’un géné­ti­cien à temps plein. Car après tout, on ne pense jamais à soute­nir le père dans cette épreuve, dont les premières douleurs commencent pour­tant à l’ins­tant où sa femme lui apprend que les deux petites barres posi­tives sont appa­rues sur le test de gros­sesse.

Marie, ma nièce, vient de mettre au monde un fils qu’elle a prénommé Jean. Il est né le 2, on a frôlé le pois­son d’avril. Jean… comme Jean, son grand-père, mon frère. Quel choc, cette nais­sance, après celle de Martha, la fille de Léa, l’été dernier. Je ne suis pour­tant pas tout à fait ignare sur le miracle de donner la vie. Je me souviens avoir souvent accom­pa­gné mon père de ferme en ferme. Une fois ce fut pour un accou­che­ment. Dans les années 50, la plupart de ses patientes mettaient leurs enfants au monde à domi­cile. De ce dimanche-là, j’avais douze ans, ce mystère n’a plus été un secret pour moi. «Lola, j’em­mène Michel avec moi, Mme B. perd les eaux. » Quand nous sommes sortis de la 4CV au milieu de la cour, M. B. nous a accueillis dans son léger état d’ébriété du dimanche après-midi (nous sommes au fin fond du bocage), un peu affolé quand même. De mon côté, je me deman­dais ce qu’é­taient ces eaux que venait de perdre sa femme. Mon père, toujours nerveux, après avoir marché dans une bouse, s’est rué à l’in­té­rieur jusqu’à la chambre où flam­bait un feu de chemi­née. «Faites bouillir une marmite d’eau tout de suite!» Impres­sionné, je l’ai suivi pour me cacher dans un coin derrière la partu­riente. Il l’ex­hor­tait« Pous­sez, respi­rez, pous­sez, Gisèle ! »… Tout ce qu’ac­com­plis­sait mon père me parais­sait extra­or­di­naire et natu­rel. Donner la vie l’exal­tait. À l’écart, passa­ble­ment téta­nisé, le gamin que j’étais essayait d’ai­der comme il pouvait : « Oui, ça va aller, tout va bien aller, madame, pous­sez!», dans un murmure qui contras­tait avec les éruc­ta­tions de papa (…) Nous sommes repar­tis dans la 4CV, le bon docteur Drucker, moi et un poulet fermier, cadeau des heureux parents. Comme d’ha­bi­tude dans les moments impor­tants pour lui, mon père s’est arrêté au bord de l’étang de Saint-Sever. Il était épuisé. «Tu vois Michel, si tu travailles mieux à l’école, tu pour­ras un jour me rempla­cer.» Comme lui, je pense encore aujourd’­hui que ma vraie voca­tion n’était pas la télé­vi­sion ni de deve­nir un person­nage public.

Quelques heures après la nais­sance du petit Jean, Marie est aussi fati­guée que belle. Un grand bonheur muet la rajeu­nit (…) Si j’avais été une femme, moi aussi j’au­rais souhaité un enfant sur le tard, afin de lais­ser à ma carrière le temps de s’épa­nouir. À quarante ans, celles de mes nièces sont assu­rées et brillantes. Je suis si fier d’elles.

Les amis de Jean qui n’ont pas l’adresse de Marie m’en­voient des cadeaux à lui faire parve­nir pour l’heu­reux événe­ment. À travers cette nais­sance, nous mesu­rons la place que son père a lais­sée dans ce métier où on enterre faci­le­ment les gens de leur vivant. Tous les patrons de l’au­dio­vi­suel qui ont aimé Jean me féli­citent comme si c’était moi le grand-père… Évidem­ment, cette nais- sance qui prolonge notre famille me boule­verse. Hier, j’ai été très ému par le texto de Marie : «Cher tonton, ça y est, je suis maman, il s’ap­pelle Jean.» Cette émotion est parta­gée par ceux qui ont bien connu Jean­not. Comme une revanche de la vie sur l’ab­sence. Je sais que Marie a choisi ce prénom pour cette raison. Bien des gens en le décou­vrant ont instan­ta­né­ment repensé à lui.

Je suis allé lui dire ça au cime­tière de Passy. Je me suis mis à lui parler devant sa tombe.

— … Je vais te filer un coup de vieux mon petit Jean­not : tu es grand-père !

J’ai eu la sensa­tion d’échan­ger encore avec Jean qui n’est pas tota­le­ment parti, disparu, puisque Petit Jean va désor­mais occu­per une place prépon­dé­rante dans nos exis­tences. Juste après cette visite au cime­tière, dans le TGV, je n’ai fait que penser à lui. Le fils de la fille de Jean est là, main­te­nant. J’ai un neveu. Une grande page d’ave­nir vient s’ajou­ter au clan. Ce matin, avant d’al­ler à la mater­nité, je suis passé chez Bonpoint, seul, offrir son premier cadeau à ce bébé. J’ai demandé à la vendeuse la plus petite taille possible. En riant, elle a bien vu que je n’étais pas un expert en nour­ris­sons.

— Le premier modèle est à trois mois. Ça gran­dit vite, vous savez.

— Non, je ne sais pas.

Stéfa­nie avait cinq ans quand je l’ai connue. Elle a tout de suite été ma petite fille et je suis devenu grâce à elle grand-père de Rebecca, dont je n’ar­rive pas à croire qu’elle aura bien­tôt vingt ans. Les trois frères Drucker, qui n’ont pas connu leurs grands-parents, ont construit une famille qui ne cesse de s’agran­dir.

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