L’animateur peaufine un one-man-show qu’il présentera au public dès janvier 2016. Avec le trac d’un jeune premier. Et des manies de vieux garçon…
Après 50 ans de carrière télévisuelle, Michel Drucker se lance dans un one-man-show. © France Télévisions
Propos recueillis par MARC FOURNY
Il n’en dort presque plus la nuit. À ciseler des phrases, remanier des chutes, ajouter, couper, travailler sa copie comme un forçat du stand-up. « J’ai tellement de souvenirs que j’ai de quoi tenir trois heures », remarque-t-il avec un mélange de malice et d’inquiétude. À 72 ans, Michel Drucker s’est lancé dans un nouveau défi, celui de raconter sa vie sur scène, celui d’un « montreur d’ours », comme il dit, cinquante ans à mettre en avant des talents, à éviter les chausse-trapes du milieu, observer le monde du show-biz dont il a soigné les états d’âme pendant des années. À l’occasion de « Plumes de stars », qui réunissait à la mi-juin en Provence plusieurs célébrités venues dédicacer leurs derniers ouvrages, l’animateur a testé quelques extraits de son prochain spectacle. À cette occasion, il révélait qu’il avait réservé la primeur de son one-man-show à Michel Delpech, qui lutte actuellement contre un cancer.
Le Point.fr : D’où vous vient cette curieuse idée de monter sur scène à 72 ans ?
Michel Drucker : Il y a d’abord eu ce sondage, à l’occasion des 50 ans de l’ORTF, où l’on m’appelle pour me dire que j’arrive en tête des cinq animateurs les plus emblématiques de l’histoire de la télévision, devant Léon Zitrone, dont j’étais le stagiaire, et Jacques Martin, auquel j’ai succédé sur la case du dimanche. Et là, je me rends compte que je suis le seul survivant de la liste : c’était assez étrange… Puis l’Ina m’appelle pour m’annoncer qu’ils préparent une opération avec la SNCF, « Le train de la télé », toujours pour fêter l’ORTF, avec un wagon qui me serait consacré autour de plusieurs documents… Et là, j’apprends qu’il existe 5 000 heures d’images et de son sur moi aux archives. 5 000 heures ! Du Général de Gaulle à Louane de The Voice. Et pour finir, France 2 voulait me consacrer un hommage spécial, un tribute comme on dit, pour mes cinquante ans de carrière…
Cela ressemblait un peu à un enterrement de première classe…
Exactement, ça sentait le sapin… Il y avait déjà eu un biopic à partir de mon livre Qu’est-ce qu’on va faire de toi ?, je me suis dit qu’on tombait dans la rubrique nécrologique, je n’ai pas voulu qu’on en rajoute. Un jour, je me suis enfermé dans mon bureau, et je me suis mis à regarder toutes les photos des gens que j’ai rencontrés sur les plateaux. À chaque fois, les souvenirs et les anecdotes remontaient… Moi tout jeune dans les coulisses d’une conférence avec De Gaulle. Et là, ce gamin, inconnu au bataillon, qui chante ? Jacques Dutronc. Puis toute l’équipe de Starmania, qui se lance. Et cette fille de 19 ans sur Champs-Élysées ? Whitney Houston. Puis Coluche, Thierry Le Luron… Je feuillette, je suis ému, bouleversé. Et je me dis : plutôt que de faire un tribute, je vais partager cela avec les gens, je vais feuilleter mes souvenirs avec le public, avec des documents et des photos sépia, qui prêtent toujours à rêver.
Durer si longtemps sur le petit écran, c’était un but ?
Quand j’avais 21 ans, je préparais les fiches de Zitrone, il en avait près de cinquante, et je lui avais demandé la recette pour faire carrière dans ce métier. « Il faut un mental de marathonien et une grande polyvalence, il n’y a que la durée qui compte », m’avait-il dit. En fait, ça s’est fait petit à petit : le sport, la radio, le divertissement. Quand j’ai commencé l’animation, j’en ai pris plein la gueule. Je me rappelle encore l’accueil de Michèle Arnaud, une ancienne chanteuse devenue productrice de télé, qui m’a fait démarrer dans une émission avec Joe Cocker, Johnny Hallyday, Jimi Hendrix… Elle me regarde et me dit : « Vous êtes un peu gauche, vous faites un peu province, vous êtes démodé, c’est bien, ça va s’arranger »… Elle avait le coup d’œil !
Quand commencez-vous le spectacle ?
Fin janvier 2016, à Rennes. Mon producteur, Claude Cyndecki, à qui j’avais touché deux mots du projet, a trouvé une trentaine de dates dans la plupart des villes de France. Je tourne jusqu’au printemps, une heure quarante-cinq de show, je jouerai le vendredi et le samedi soir, puisque la télé m’occupe jusqu’à jeudi. Puis je reprends à Paris en septembre, aux Bouffes Parisiens, le théâtre de mon ami Jean-Claude Brialy, qui est le premier à m’avoir mis cette idée en tête. On en parlait quand on se retrouvait en Provence, à Eygalières, où il possédait une maison à 500 mètres de la mienne. Il m’avait aussi fait promettre de venir jouer dans son théâtre, et c’est ce que je ferai.
Cela ne vous fait pas peur ?
J’ai la frousse, évidemment. J’ai toujours eu la frousse, le trac, mais cela ne se voit pas. Là, je me lance dans un autre métier, ça n’a rien à voir avec ce que je fais. Je me sens comme un ovni. Je vais arriver seul sur scène, appuyer sur la touche pause et vider mon disque dur. Mes souvenirs sont aussi ceux du public. Mon enfance, la lumière et l’oubli, la cruauté de ce métier, les anecdotes, trois générations d’artistes et de politiques… C’est très important pour moi. Si je ne le fais pas maintenant, je le regretterai.
Vous avez demandé conseil à des professionnels ?
J’ai écrit les textes tout seul, de A à Z. Il n’y a qu’un seul acteur qui a vu vingt minutes du spectacle, c’est Fabrice Luchini. Je faisais une interview de lui au théâtre des Mathurins et, à la fin, je suis monté sur la scène pour lui présenter un extrait. Au bout de vingt minutes, il m’a dit : « J’ai tout compris, tu vas faire quelque chose qui n’existe pas effectivement, car personne n’a vécu ce que tu as vécu… »
Et comment a réagi Dany Saval, votre épouse ?
Elle n’a pas été étonnée, elle me connaît mieux que personne puisque ça fait quarante-quatre ans qu’on partage tout… Elle sait très bien que j’adore raconter des histoires : quand je rentre le soir, je lui fais la gazette… Elle sait que je peux aussi avoir de l’humour et de l’autodérision.
À quoi ressemblent les soirées de Michel Drucker ?
Je visionne tous les films, les téléfilms et les spectacles dont je parle à l’antenne. Il n’y a pas un artiste qui vient sur mon plateau dont je n’aie pas vu l’actualité. Je regarde les séries télé, j’ai toujours deux ou trois livres sur la table de nuit, et je travaille tous les soirs jusqu’à minuit.
Beaucoup de mondanités ?
Je ne peux pas, je n’ai pas le temps ! Pas de dîners non plus. J’ai quelques amis, quelque copains, mais pas tant que ça. Vous savez, les gens du métier sont tous des malades, ils ont parfois des pathologies sévères. Et après cinquante ans de télévision, je suis devenu le médecin des âmes, comme disait mon père. J’ai consulté pendant des années le samedi soir, maintenant, j’ouvre mon cabinet le dimanche et je tente de les soigner le mieux possible. Mais une fois l’enregistrement terminé, je leur dis au revoir et je rentre chez moi : on ne demande pas à un médecin de dîner avec ses malades ! Et là, j’ai une autre vie : Dany, les copains du vélo, ma vie de pilote… et le sport bien sûr. On ne peut pas durer sans une santé de fer.
Vous êtes d’ailleurs réputé pour faire du sport…
Je fais même plus que cela : 3 000 kilomètres par an de bicyclette, du home trainer tous les matins, je nage deux fois par semaine, je ne bois pas, je ne fume pas, je suis un vrai hypocondriaque, j’ai un kiné, un ostéo, un cardio, un pneumologue… Comme dit ma femme, il ne te manque qu’un psychiatre ! Et pour le spectacle, pas de panique : il y aura un défibrillateur dans ma loge. Et le Samu sera prévenu !